Quantcast
Channel: Flair » Les métiers du nez
Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Les métiers du nez: Christelle Noël, aromaticienne chez Givaudan

$
0
0

DSC_0454

 Des classiques vanille, fraise et chocolat aux saveurs les plus originales (des chips au goût de burger ou d’huître, des yaourts à la tarte tatin… ), chaque arôme que l’industrie agro-alimentaire place sur les rayons de nos supermarchés a été composé par quelqu’un dont c’est le métier. Ces parfumeurs qui s’adressent à nos papilles sont peu nombreux: quelques dizaines d’aromaticiens seulement exercent aujourd’hui en France. Rencontre à Argenteuil avec Christelle Noël, aromaticienne pour la société Givaudan, l’un des leaders mondiaux de la création de fragrances et d’arômes.

Comment avez-vous décidé de devenir aromaticienne ?
J’ai une forte curiosité gustative et olfactive depuis toujours. Enfant, j’avais déjà l’envie de tout goûter et de tout tester, le besoin de mettre un nom sur les différentes odeurs que croisait mon nez. C’est une époque où je mangeais beaucoup de bonbons et, quand j’ai appris que dans un bonbon à la fraise, il n’y avait pas vraiment de fraise, ça m’a beaucoup intriguée. En classe de seconde, lorsqu’un conseiller d’orientation m’a appris l’existence du métier d’aromaticien, toutes mes études se sont dirigées alors vers ce but. Pour moi, c’était clair et net que je voulais faire ça !

Les bureaux de Givaudan, à Argenteuil © Givaudan

Les bureaux de Givaudan, à Argenteuil/DR

Quel parcours avez-vous suivi ?
Après mon bac, j’ai fait 2 années de chimie-biochimie à l’Université de Versailles, puis j’ai intégré l’ISIPCA à Versailles pour étudier les arômes alimentaires avec une formation en alternance sur 2 ans qui a abouti à une Maîtrise de Sciences et Techniques. A l’issue de mes études, j’ai commencé à travailler pour la société aromatique WILD à Berlin. Cette période enrichissante m’a permis de comprendre les différences culturelles, gustatives et culinaires qui entrent en ligne de compte lorsque l’on crée des arômes. L’Allemagne est un pays qui grignote beaucoup, là où la France passe plus de temps à cuisiner. Ce n’est pas une rumeur! Là-bas, beaucoup de repas sont constitués de pain, de fromage, de charcuterie… Et je me souviens aussi avoir été très surprise de voir des enfants manger du poivron pour le goûter ! De plus, l’Allemagne a beaucoup de spécialités saisonnières qu’on ne connaît pas ou très peu en France : des yaourts à base d’épices, du Glühwein (vin chaud)… Bref, il y a de vraies différences, même dans la perception des goûts : en Allemagne, si je parle d’une fraise, elle sera plutôt cuite, un peu confiture, alors qu’en France, elle sera plutôt verte.

C’est à dire que selon les pays, un même aliment peut-être perçu différemment ?
Oui. De la même façon, une vanille selon les Allemands va plutôt être crème, légèrement beurrée, alors qu’ici on aime la gousse, le côté vanille de Madagascar. Deux pays, même voisins, peuvent avoir des habitudes alimentaires et une perception des aliments très différentes. D’où l’importance de connaître son marché.

Pour quels pays travaillez-vous ?
Beaucoup pour la France, mais nous sommes une structure Europe / Afrique /Moyen-Orient, donc je travaille aussi pour d’autres clients hors France.

Le laboratoire dans lequel travaille Christelle avec deux autres aromaticiens

Le laboratoire dans lequel travaille Christelle avec deux autres aromaticiens

Pouvez-vous me décrire comment se déroule la création d’un arôme ?
C’est un long processus. Au tout début, les clients – des marques de l’industrie agro-alimentaire – envoient leurs briefs à nos équipes commerciales, qui sont ensuite traités en interne par les « Local Librarians ». Selon les projets, certains seront traités par nos « Food Technologists » et d’autres par les aromaticiens en fonction de leur spécialisation et du client dont il s’agit… Pour ma part, je suis spécialisée dans le sucré et je travaille essentiellement dans les domaines des produits laitiers, de la biscuiterie et de la confiserie. Mais nous avons également des pôles boisson, savoury et snack.

A quel moment vous êtes-vous spécialisée dans le sucré ?
Pour ma part, ça s’est décidé lors de ma première embauche, à Berlin. C’était un poste en sucré et c’est ainsi que je me suis spécialisée. J’avais, de toutes façons, plus d’affinités pour le sucré. Certains aromaticiens passent de l’un à l’autre, mais c’est plus délicat car le sucré et le salé sont deux mondes bien distincts avec des matières premières différentes.

Peut-on aller jusqu’à se spécialiser dans un arôme en particulier ?
On peut avoir des spécialités, mais on essaie de ne pas trop se mettre dans des boîtes. Cela dit, c’est sûr qu’avec l’expérience, on gagne en connaissances et qu’une expertise est toujours un atout.

Faut-il un palais « spécial »  pour exercer ce métier?
Pas spécial, mais entraîné. Ici, tous les jours on sent, on goûte… Et il faut aussi un nez, car le métier d’aromaticien requiert de connaître et sentir ses matières premières avant de formuler et de les appliquer dans un produit fini afin de les goûter.

DSC_0455Du goût à l’odorat, il n’y a qu’un pas…
Le goût, à proprement parler, c’est l’acide, l’amer, le sucré, le salé et l’umami. Quand on « goûte » un aliment, en réalité, on le sent de façon rétronasale: au moment de l’expiration, l’odeur de ce qu’on a dans la bouche nous apparaît. C’est pour cela qu’on perd la faculté de goûter les aliments quand on a le nez bouché ! Mais effectivement, un arôme en soi n’est pas un goût, mais plutôt une odeur…

Cela veut-il dire que vous travaillez avec les mêmes matières premières que les parfumeurs ?
Oui pour certaines, mais la législation qui régule leur usage change car ce sont deux applications différentes : le parfum est destiné à être mis sur la peau et les arômes à être ingérés. On a quelques matières premières en commun avec eux, mais finalement c’est une petite proportion. 

Revenons à la création : que stipule le brief que vous recevez ?
Certains briefs sont succincts, d’autres le sont moins, c’est selon les demandes des clients. Certains vont juste nous dire « On veut une bonne vanille », ce qui laisse une belle marge de manœuvre ; d’autres vont être plus précis et nous dire qu’ils veulent une vanille gousse, une vanille crème… Certains briefs décrivent le consommateur que cible le produit fini, mais c’est rare. Quand c’est le cas, on nous précise si on s’adresse à un enfant, un homme, une femme, une famille…

Et concrètement, ça change votre façon de créer ? Une fraise pour un enfant de 8 ans sera-t-elle très différente d’une fraise pour une femme de 45 ans ?
Pour un enfant, une fraise sera très forte, intense, on va même ajouter quelques notes framboise ou vanillées pour accentuer l’effet bonbon. Pour une femme adulte, on va chercher la note fruit frais, qu’on vient de cueillir.

DSC_0460Estimez-vous que vous faîtes un travail créatif ?
Peut-être pas autant qu’un parfumeur, dans la mesure où une fraise reste une fraise. Mais c’est à nous d’apporter notre touche personnelle, et avec l’expérience on apprend à combler les papilles !

Une fois l’arôme créé, que se passe-t-il ?
Chaque essai est senti, puis goûté après son incorporation dans la base à laquelle il est destiné – base qu’on appelle dans notre jargon « matrice ». C’est une étape cruciale parce qu’une fois qu’on applique l’arôme dans un produit fini, il n’aura pas forcément le même rendu que ce qu’on a senti. Car de nombreux facteurs tels que le taux de matière grasse et de sucre, l’acidité ou l’éventuelle cuisson du produit vont influencer la perception de l’arôme. Autant de paramètres qui vont changer le rendu, voire modifier complètement le profil de l’arôme en faisant ressortir telle ou telle note. Donc on goûte et c’est pour cela qu’il est très important pour nous d’avoir la matrice finale du client lorsque l’on crée un arôme.

Quelles sont les demandes les plus fréquentes de la part de vos clients ?
On nous demande beaucoup de naturel, c’est vraiment la tendance depuis quelques années. Pour le client, c’est important de pouvoir l’inscrire sur son packaging.

Vous travaillez surtout avec des matières premières naturelles ?
A la demande du client, oui. Cette recherche d’authenticité se retrouve chez les consommateurs aussi. Mais cette tendance au naturel, pour l’instant, se cantonne surtout au Vieux Continent.

Comme les parfumeurs, vous travaillez aussi avec des ingrédients de synthèse, n’est-ce pas?
Oui, mais nous on les appelle les « identiques nature ». Ils sont obtenus par synthèse chimique, mais identiques chimiquement à une substance présente dans la nature.

DSC_0461Quel rôle vont avoir les matières synthétiques dans ces identiques-nature ?
Elles permettent de réduire le coût, déjà, d’apporter de l’intensité aromatique, et de répondre à toutes les demandes. Car si on devait avoir de l’extrait de vanille dans tous les produits à la vanille consommés sur terre, c’est simple, on n’en aurait pas assez !

Quel pourcentage de votre palette les matières premières naturelles représentent-elles?
Facilement un tiers.

Avec combien de matières premières travaillez-vous ?
Au quotidien, plusieurs centaines. Chez Givaudan, les parfumeurs travaillent avec environ 1500 matières premières et les aromaticiens avec une palette plus large d’environ 5000 matières premières. On doit connaître, comme le parfumeur, toutes les propriétés techniques de nos matières, mais aussi la façon dont elles interagissent avec les différentes bases dans lesquelles on sera amené à les incorporer.

Le réalisme d’un arôme est-il important ou vous demande-t-on parfois de vous en éloigner ?
Non, le réalisme est très important : le consommateur doit pouvoir reconnaître l’arôme à l’aveugle. Même si, en vérité, le consommateur est influencé par la couleur: si on lui met un produit de couleur rose avec un goût banane, il pourra se persuader que c’est de la fraise… 

Donc vous n’avez jamais créé un goût qui n’existe pas dans la nature ?
Non, sauf peut-être dans le thème « bonbon », où il y a plus de liberté.

Et vous n’en avez pas marre de la fraise ?
Non, car on peut créer à l’infini : ce n’est jamais la même fraise ! Certaines sont typées jus, d’autres confiturées, d’autres bonbon, d’autres vanillées… Parfois le client peut même nous demander d’aller vers un profil plus « akènes » (les petits points de la fraise)… Et puis les applications changent, alors non, je ne m’ennuie jamais !

Quels sont les arômes les plus fous que vous ayez eu à créer ?
J’ai travaillé pour le Moyen-Orient un arôme de rose. Ca sort du classique ! J’ai aussi travaillé une note stracciatella récemment. Certains clients veulent des mélanges de fruits et de fleurs : j’ai fait des combinaisons abricot-fleur d’oranger, c’est super intéressant et ça nous amène à échanger avec nos collègues parfumeurs.

Y’a-t-il des ingrédients que vous utilisez pour certains pays mais pas pour d’autres ?
En Allemagne, ils adorent la cannelle: il y en a partout, souvent combinée avec de la pomme. En France, les notes trop épicées sont segmentantes. En Espagne, ils consomment beaucoup de chufas, une sorte d’amande de terre, de la famille des noix, qui a un goût de châtaigne et de coco. Ils en font des boissons, comme un produit lacté presque soja, et il y a donc une demande pour des arômes de ce genre. Quant au nougat, sa définition est elle aussi très culturelle! Un client Allemand m’avait demandé un arôme nougat, mais pour eux cela voulait dire du praliné. Ce n’est qu’après quelques temps que j’ai compris que j’étais partie dans la mauvaise direction avec mon nougat de Montélimar, qui est une spécificité française, tout comme les calissons…

Avez-vous déjà dû créer des notes que vous ne connaissiez pas ?
Cherimoya, ça vous dit quelque chose ? Eh bien moi, maintenant, oui ! C’est un fruit vert, au goût un peu aqueux, qui ressemble à la pomme, à la poire pas mûre, un peu comme le fruit du dragon. On nous demande parfois des fruits peu connus, qui impliquent plus de recherche. Dans ces cas-là, on les analyse.

Ah, on peut passer un fruit à la chromato ?
Oui, bien sûr. Mais attention, on ne met pas le fruit dans la machine, évidemment! On a un service qui va faire un extrait, une sorte de jus très concentré, qu’on va ensuite analyser à la chromatographie. Vous voyez, quand je vous dis qu’avec ce métier, on en apprend tous les jours…

DSC_0424

 

 

Photographies © Sarah Bouasse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



Viewing all articles
Browse latest Browse all 3

Latest Images

Trending Articles





Latest Images